Le Fou de Bassan

On n’a pas l’habitude d’être regardé par des oiseaux.

D’habitude c’est plutôt l’inverse, si l’on admet que des oiseaux puissent avoir un regard.

Mais toi, le Fou de Bassan, tel que tu es représenté,ici, tu n’es pas un oiseau comme les autres. Ton œil dit ta satisfaction d’être au monde. Tes ailes sont savamment croisées, (c’est ta posture habituelle), tes plumes sont gonflées, rendues duveteuses par la magie du dessin, qui s’attache aussi à rendre la matière.

Couleurs délicates, transparentes, éclat du blanc à peine grisé… Tu es sur ton nuage, en apothéose, sur ton Olympe, tu es là pour te montrer, car tu as une histoire, une histoire exemplaire: un jour, en Nouvelle Zélande, dans une réserve naturelle, des ornithologues ont eu l’idée d’installer des Fous de Bassan en ciment, faux oiseaux, imitations parfaites du vivant, pour y attirer les vrais et, ainsi, y réintroduire l’espèce.

Et c’est là que commence cette histoire exemplaire : sur l’île, les scientifiques n’en laissent qu’un seul de véritable, qu’ils appellent Nigel, et qui tombe amoureux d’une belle oiselle Fou de Bassan en ciment. Tel Pygmalion empressé auprès de Galatée, il la soigne, la nourrit et… finit par la préférer aux vrais mâles et femelles qui ne manquent pas d’arriver assez vite pour repeupler le coin, le stratagème des hommes ayant parfaitement réussi.

Mais si, dans le mythe, Pygmalion finit par donner la vie, à force de prévenances, à Galatée, hélas en ce qui te concerne, ton aimée resta de pierre.

Catherine Marle – 2021